Bilan sur Qualiopi : quels atouts, quelles limites

Auteures :  Esther Gagneux et Sandrine Baslé, publié le 19 mai 2025

bilan

Créée en 2019, la certification Qualiopi est obligatoire pour tous les prestataires d’actions concourant au développement des compétences pour bénéficier de fonds publics, depuis le 1er janvier 2022.

Elle doit garantir la qualité des processus des organismes de formation. Pour cela, elle s’appuie sur 7 critères et 32 indicateurs, comme expliqué dans notre article “La certification Qualiopi c’est quoi ? Comment répondre aux indicateurs Qualiopi ?”.

Quelques années après la mise en place de Qualiopi, et à l’aune de notre expérience à la fois du côté des audités (plus de 160 organismes accompagnés) et du côté des auditeurs (Sandrine Baslé, directrice de Qualiview conseil, est auditrice pour 4 organismes certificateurs), nous proposons une analyse des atouts et des limites de Qualiopi. 

L’existence de cette certification Qualiopi a indéniablement eu plusieurs atouts, notamment les suivants.

  • Pour les organismes de formation, c’est une bonne occasion pour mieux structurer l’activité et mettre en place des processus pérennes. Les différents indicateurs Qualiopi tendent à obliger les organismes à se doter d’une meilleure organisation de leurs formations, et à mettre en place des instruments qui ont souvent permis une réelle amélioration des formations.
  • Qualiopi est un outil qui marque un sérieux dans l’organisation. Ceci est confirmé par des formations plus cadrées grâce à la mise en place d’un déroulé pédagogique, qui n’était pas systématique auparavant.
  • Vingt ans après la loi de 2005 sur le handicap, qui n’est toujours pas appliquée en France, Qualiopi a le mérite d’imposer le handicap comme un sujet important et transversal. La certification pousse a minima à mener une réflexion sur le sujet.
  • La certification permet de créer des formations beaucoup plus adaptées aux bénéficiaires grâce à la prise en compte des différentes situations permise par l’analyse du besoin (indicateur 4) et le positionnement (indicateur 8).
  • Qualiopi pousse les organismes de formation à formaliser les contrats, notamment les contrats avec les sous-traitants (indicateur 27), mais aussi à être plus rigoureux au niveau juridique plus globalement : contrats de mise à disposition des locaux (indicateur 17), respect de la législation relative à la sécurité des personnes (ERP), respect des règles applicables aux salariés (entretiens professionnels, maintien de l’employabilité, adaptation aux postes de travail par des formations par exemple, avec les indicateurs 21 et 22) , etc.
  • L’indicateur 32 pousse les organismes à tenir compte des appréciations de leurs clients.

Cependant, nous estimons qu’il existe certaines limites à Qualiopi. Celles-ci pourraient en partie être corrigées lors d’une prochaine version du guide de lecture, par exemple. 

Les voici : 

  • Aucun indicateur ne demande clairement les contrats de formation. Par exemple, un audit Qualiopi peut tout à fait passer à côté de la convention (ou du contrat) de formation. Pour prouver l’analyse du besoin (indicateur 4), à aucun moment il n’est fait obligation de demander le contrat. Celui-ci n’est même pas indiqué dans les exemples de preuves des 3 premiers critères du guide de lecture.
  • Il en est de même pour les supports de formation. Un organisme peut passer l’audit sans mentionner le fond du sujet. On peut répondre à l’indicateur 6 à partir du déroulé pédagogique et donc sans montrer les supports de formation. L’indicateur 19 concerne plus spécifiquement les ressources pédagogiques mais l’accent est mis sur le fait qu’ils doivent être mis à disposition et que l’organisme prouve leur appropriation par les bénéficiaires. Certains organismes de formation se plaignent que l’essentiel ne soit pas audité, c’est-à-dire la formation elle-même. Ils considèrent parfois qu’ils pourraient obtenir Qualiopi même avec un contenu de piètre qualité, tant qu’il y a des processus.
  • Il est possible de répondre à tous les éléments du référentiel tout en n’ayant pas réellement dispensé la formation. Qualiopi ne permet pas d’identifier les “escrocs”. Il n’y a pas de recherche de preuve formelle de la réalisation de l’action de formation.
  • Il existe Qualiopi mais aussi les contrôles des OPCOs (contrôle de service fait, contrôle qualité), les contrôles de la DREETS et les contrôles de la Caisse des dépôts. Pour les organismes de formation, ces nombreux contrôles et audits créent de l’illisibilité, du stress et du découragement, à tel point que certains organismes pensent à renoncer aux financements voire même à leur activité de formation. Cela n’empêche pas les escroqueries (article 313-1 du Code pénal) car un bon escroc peut aussi être un bon faussaire en créant de vrais faux documents. Or, tous ces contrôles se focalisent sur la preuve et non sur la réalité de l’action de formation.
  • Pour les CFA, nous ne comprenons pas pourquoi “distiller” les obligations spécifiques à ces organismes dans plusieurs indicateurs ; cela crée de la confusion et de l’illisibilité, d’autant plus que les CFA sont déjà soumis à 14 missions selon le Code du travail. Par ailleurs, ces 14 missions ne sont pas toutes reprises dans le guide de lecture.
  • Même si chaque nouvelle version du guide de lecture est venue préciser certains indicateurs, persiste un problème de subjectivité de Qualiopi : chaque organisme certificateur interprète différemment les indicateurs, et chaque auditeur interprète les indicateurs avec sa subjectivité.

– Cela a pour conséquence que certains auditeurs vont jusqu’à se considérer comme le législateur et demandent des pièces qui n’ont pas lieu d’être demandées. En effet, le législateur a prévu le “quoi” mais pas le “comment”. 

– Par exemple, rien n’impose que l’amélioration continue (indicateur 32) soit faite sous forme de tableau, mais certains auditeurs l’imposent. 

– D’autres estiment qu’il est obligatoire d’avoir un site internet pour l’indicateur 1, ou ignorent le mot “éventuel” dans les indicateurs de veille 24 et 25 (“niveau attendu : Démontrer la mise en place d’une veille sur les thèmes de l’indicateur et son impact éventuel sur les prestations”). 

– Certains imposent un plan de développement des compétences, dans le cadre de l’indicateur 22, alors que la loi ne l’impose pas (L. 6321-1 du code du traviail). 

Sur certains indicateurs, nous notons des incohérences :

  • D’après le guide de lecture V9, les indicateurs 1 et 2 ne s’appliquent pas du tout au sous-traitant car c’est le donneur d’ordres qui communique sur la formation. Or, parfois un sous-traitant communique lui aussi sur la formation qu’il dispense. Par conséquent, si l’on suit le guide de lecture V9 “à la lettre”, le sous-traitant pourrait communiquer de manière non conforme à Qualiopi.
  • Les indicateurs 5 et 11 (objectifs évaluables) concernent le même sujet, les organismes ont du mal à comprendre la différence entre les deux, surtout que cette logique n’est appliquée qu’aux objectifs de la formation.
  • L’indicateur 7 est ambigu, à cause de l’encart “sous-traitance”, sur les cas pour lesquels il est applicable exactement : il y a différentes interprétations possibles. Par exemple, si un organisme délivre un module de formation éligible au RNCP en sous-traitance mais ne certifie pas et ne touche pas de CPF, est-ce que cela s’applique à lui ? Certains auditeurs l’appliquent dans ce cas. Auparavant, c’était clair que dans ce cas cela ne s’appliquait pas, car il s’agit d’une formation non certifiante au RNCP.
  • L’indicateur 12 comporte deux sujets  différents : “créer l’engagement” et “prévenir les ruptures”. De plus, “créer l’engagement” rejoint le concept d’adaptation (indicateur 10) puisque c’est principalement l’adaptation qui crée de l’engagement. Enfin, depuis la V9, cet indicateur ne s’applique qu’aux formations de plus de 2 jours. Pourtant, il y a des formations de 2 jours dont la réalisation s’échelonne sur plusieurs semaines. Pourquoi l’obligation de prévenir les ruptures de parcours ne s’appliquerait-elle pas dans ce cas ? 
  • Les organismes de formation ont des difficultés pour comprendre ce que le terme “mobilise” sous-entend à l’indicateur 21.
  • Les organismes de formation ont des difficultés pour comprendre qui est concerné par l’indicateur 28, car il n’est pas indiqué clairement s’il est prévu uniquement pour l’Afest et/ou également lorsque les formations comprennent une période de stage réalisé en milieu professionnel ; de plus, il regroupe 2 notions différentes : la co-construction de l’ingénierie de formation et l’accueil en entreprise
  • L’indicateur 31 (gestion des réclamations) n’a pas de sens pour la plupart des petits organismes de formation. C’est une lourdeur administrative, car les petits organismes gèrent les réclamations rapidement et sans ce formalisme. Par conséquent, souvent, les petits organismes déclarent fournir des éléments créés uniquement pour l’audit (pour prouver l’application de leur processus). Le même constat est fait sur l’indicateur 32 (plan d’amélioration continue) : les petits organismes le perçoivent comme un document en plus à leur faire faire pour “rien”. L’amélioration continue se fait au fil de l’eau et n’a pas besoin de processus formalisé. 

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